L’élection sans candidat·e est un processus en plusieurs étapes qui peut être émotionnellement très engageant. En effet, il implique de donner son avis sur une ou plusieurs personnes qui sont présentes et donc de se confronter à leur regard, que ce soit quand on les propose comme candidat·e·s ou quand on émet une objection à leur nomination, ce qui peut être difficile pour elles. Il nécessite de l’honnêteté, tout particulièrement lors du tour d’objections où l’idée n’est pas de faire plaisir mais d’exprimer ce qui est nécessaire pour le groupe, tout en mettant ses propres préférences, et d’une certaine manière son égo, de côté.
C’est donc un processus qui nécessite d’une part, d’être facilité par une ou plusieurs personnes (non candidat·e·s) afin de garantir le bon déroulement des étapes et le respect du temps, d’autre part de poser au préalable un cadre. Ce cadre pose des règles claires nécessaires au bon fonctionnement du processus pour que celui-ci reste inclusif et permette la libre expression de chacun·e dans un espace sécurisé. Chaque personne du groupe en est garant·e et peut à tout moment le rappeler s’il n’est plus respecté.
L’élection sans candidat·e n’est pas exempte de défauts. C’est un processus qui peut être assez long : d’une heure à deux heures, voire plus selon la taille du groupe. Comme il est engageant sur le plan émotionnel, il nécessite une bonne dose de confiance entre les personnes dans le groupe et n’a pas sa place dans un espace où les relations sont dégradées voire toxiques : relations de pouvoir, conflits larvés, oppressions, chantage… Dans ces situations, elle risque alors de devenir le révélateur du mauvais état du groupe. Il peut par exemple être difficile pour quelqu’un d’émettre une objection à l’égard d’une personne qui exerce un pouvoir hiérarchique sur elle et auprès de qui elle ne se sent pas en sécurité.
Enfin, le principal biais de l’élection sans candidat·e est qu’il s’apparente donc un à processus de cooptation. En effet, il implique une bonne dose d’interconnaissance dans le groupe car les individus ont tendance à choisir une personne qu’ils connaissent bien, même si celle-ci n’oserait pas se présenter d’elle-même. Une personne nouvelle qui pourrait avoir toutes les qualités pour le poste mais que personne ne connaît suffisamment n’aurait que peu de chances, voire aucune, d’être choisie. Par ailleurs, l’utilisation de la décision par consentement rend le processus quasiment impossible avec des groupes de trop grande taille
Si on veut prendre un peu de hauteur, aucun processus de décision n’est parfait car tous comportent des biais et l’élection sans candidat·e n’y échappe pas. C’est un processus qui peut être très adapté dans certaines situations, et complètement inapproprié, voire dangereux, dans d’autres. L’enjeu est d’abord de se demander s’il convient à une situation donnée avant de chercher à tout prix à l’utiliser comme une sorte de recette miracle.
A titre personnel, j’ai eu l’occasion de vivre plusieurs élections sans candidat·e dans divers contextes, comme le choix d’une tête de liste ou le choix de la nouvelle présidence collégiale d’une association. C’est sur ce dernier contexte que se fait mon retour d’expérience. J’étais co-président démissionnaire et j’avais choisi à l’avance de ne pas faire partie des candidat·e·s possibles, ce qui m’a permis de me placer à l’extérieur du groupe et de prendre le rôle de facilitation (nous étions deux dans ce cas de figure).
Le but était de renouveler la co-présidence d’une association (l’Atelier du Déclic) en désignant les nouvelles personnes via l’élection sans candidat·e. La proposition initiale était de trois personnes pour occuper le rôle de la co-présidence, proposition qui a évolué à quatre personnes suite à un besoin exprimé dans le groupe. De nombreux critères ont émergé, certains plus que d’autres, comme la parité ou encore la disponibilité.
Il est intéressant de noter que les personnes qui ont été finalement choisies comme co-président·e·s ne sont pas nécessairement celles qui ont obtenu le plus de voix. En effet, la réflexion s’est faite autour du choix d’une équipe de quatre personnes et s’est articulée au regard des critères définies préalablement par le groupe ainsi que des différents arguments de vote ou de report de vote qui ont été exprimés. Ainsi, si le nombre de voix individuel servait d’indicateur, il n’est en rien un critère pour choisir une personne, surtout dans le cadre du choix d’une équipe où la complémentarité des profils peut être importante.
Lorsqu’une proposition de quatre noms a été mise au centre, certaines personnes proposées ne sont pas senties certaines de pouvoir assumer le rôle au travers d’objections. C’est une partie très intéressante et puissante car l’appui du groupe est venu lever des peurs et des questionnements qui étaient légitimes. Parfois, cela peut suffire comme cette fois-ci, et parfois non, ce qui implique de faire évoluer la proposition initiale en y retirant la personne ne souhaitant pas être élue.
L’une des personnes qui a été élue avait dû partir avant la fin à cause d’une contrainte horaire et il a fallu s’adapter en contactant cette personne pour lui demander si elle acceptait d’être choisie, ce qui fut le cas. De manière générale, on évite d’inclure des personnes absentes dans le processus et seules les personnes présentes sont de fait candidat·e·s. Cependant, et tout particulièrement quand le processus s’allonge, il arrive que des personnes doivent partir avant la fin. Il convient de s’assurer avec elles de la bonne prise en compte de leurs éventuelles objections avant qu’elles ne partent, en rappelant qu’elles ne pourront plus interagir avec le processus une fois parties (ce qui implique une bonne confiance dans le groupe).
Lorsque le processus a démarré, je n’avais pas d’attentes en particulier et je n’étais même pas certain que le groupe arrive à se mettre d’accord sur une nouvelle co-présidence. J’ai été agréablement surpris de l’issue de l’élection et j’ai apprécié la co-responsabilité du groupe dans le déroulé du processus et le respect du cadre. Cependant, il est important de garder en tête que le résultat d’une élection sans candidat·e·s n’est jamais garanti car il y a des situations où il est impossible de lever des objections. Dans ce cas de figure, il est à mon avis inutile de faire s’éterniser le processus pendant des heures et des heures, mais plutôt de considérer qu’il est un excellent indicateur de l’état du groupe à cet instant et que celui-ci n’est pas prêt pour faire un choix.
Et puisque le vécu a plus de force que de long discours théoriques, voici ci-dessous des témoignages de personnes ayant participé à cette élection sans candidat·e·s de la nouvelle co-présidence de l’Atelier du Déclic.
“J’ai beaucoup aimé l’expérience, j’ai adoré participer et vivre ça. Le processus est clair et logique. J’ai été un peu gêné par le manque de temps (de ma faute principalement) pour faire ça plus tranquillement et surtout par le peu de personnes présentes, ce qui légitime moins le résultat que je ne l’aurai souhaité.”
Benjamin, participant (qui a dû partir avant la fin)
“J’ai adoré le processus et votre facilitation, c’était fluide. Je n’ai pas voulu participer aux post-its sur les critères par peur qu’il y en ait “trop”, mais c’est peut-être une erreur. La question de ne pas pouvoir prendre la parole sauf objection était compliquée mais ça a du sens selon moi. Je serais curieuse de participer à une élection sans candidat avec plus de monde.”
Laurie, participante
“J’étais intriguée par le processus, un peu intimidée quand j’ai compris que j’allais devoir expliquer mes choix devant tout le monde mais je l’ai bien vécu finalement. Je me demande toujours ce que ce type de processus peut donner à grande échelle, si c’est viable ou si c’est voué à rester très local. Ça me déprime un peu paradoxalement, d’avoir l’impression de participer à des anecdotes, même si y a une partie de moi qui se dit qu’on va bien finir par y arriver.
Eléonore, participante
J’ai paniqué. Quand mon nom est sorti pour la première fois, j’ai discrètement écarquillé les yeux. Quand il est sorti une deuxième et une troisième fois, j’ai stressé. Avant de venir, je m’étais dit que je ne voulais vraiment pas être élue pour ne pas me rajouter de charge mentale. Et une fois qu’il y avait mon nom au tableau… Je me suis reposée la question. J’ai commencé par avoir peur mais comme les facilitateurs avaient vraiment insisté sur le fait que ça rajoutait pas de travail… Et qu’il y avait mon nom au tableau justement, je me suis un peu sentie engagée malgré moi et j’ai pas voulu abandonner les gens. Donc j’ai accepté le rôle. On verra bien si c’était la bonne décision.”
“J’avais déjà pris part à une élection sans candidat·e au cours d’une formation et j’étais curieux de le faire découvrir à d’autres personnes. Participer à une telle élection demande non seulement de faire confiance au processus, mais aussi de repenser son rapport au temps : on ne peut pas prédire quand l’élection prendra fin. Toutefois cela relève de la co-responsabilité du groupe : cela nécessite donc qu’il soit acculturé aux pratiques de coopération.”
Olivier, co-facilitateur
“C’était la seconde fois que je participais à une élection sans candidat, et c’est grâce à ce genre d’expérience que je regarde d’un nouvel œil les différentes façon de voter et leur intérêt pour des prises de décision démocratiques. Si on vous propose de participer à une élection sans candidat, saisissez l’occasion si vous le pouvez !”
Julien, participant
“L’élection sans candidat·e est un processus qui remet l’égalité au centre de la démocratie. Elle permet à celleux qui ne se sentent pas légitimes, d’être élu·e·s et d’être sûr que le choix est le bon. C’est une version des élections incroyable. Petit bémol : le temps. En effet, pour assurer la bonne compréhension et réalisation de l’élection, c’est assez chronophage et peut en dérouter plus d’un·e. Chaque médaille a son revers mais les avantages de l’élection sans candidat·e sont largement supérieurs à ses inconvénients”
Dimitri, participant
Les plus :
Vanina, participante
— Processus par itération intéressant. On ne reste pas sur sa position, le vote évolue en fonction des arguments de chacun·e.
— Processus qui permet vraiment de légitimer une personne, les arguments de chacun·e sont intéressants et constructifs.
— Intéressant de voir que c’est pas forcément celui ou celle qui a initialement le plus de votes qui est élu·e.
Les moins :
— On ne peut voter que pour les présent·e·s. Dommage quand des personnes absentes seraient autant voire plus légitimes que les présentes.
— Le vote par objection ne permet pas de faire plusieurs propositions. S’il n’y a pas d’objection sur la première proposition, elle est adoptée alors qu’une autre peut-être meilleure aurait pu être proposée.
— L’élection sans candidat·e peut durer longtemps si les personnes choisies ne veulent pas être élues ou qu’une objection est difficile à lever.