Bonjour SNCF, je voudrais un billet de train de Montpellier à Paris. La réponse ne se fait pas attendre : une horde de trajets sont disponibles, tous par TGV (Train à Grande Vitesse), pour un temps d’environ 3h30 si vous partez de Saint-Roch ou 3h20 si vous partez de Sud de France. Fin des courses.
Si l’on en croit le site SNCF Connect, c’est la seule manière de voyager en train entre les deux villes. Pour ceux qui voudraient pimenter le voyage, le site propose néanmoins quelques trajets avec une correspondance à Lyon et ça s’arrête là. Pourtant, il existe d’autres manières de rallier la capitale depuis le sud de la France, encore faut-il savoir les trouver car elles ne sont absolument pas mises en avant par la SNCF…
Vous êtes en vacances et/ou vous avez du temps devant vous ? Habitué·e au trajet, vous ne pouvez plus voir la Bourgogne et la Vallée du Rhône en peinture ? À 300 km/h, vous vous sentez comme dans un avion sur rails qui vous laisse à peine le temps d’apercevoir le paysage ? Vous aimeriez bien teinter votre déplacement de plus de charme et de pittoresque ? Alors, cet article est pour vous !
Les lignes des Cévennes et des Causses
Avez-vous déjà entendu parler de la ligne des Cévennes ou bien de la ligne des Causses ? Ces deux axes ferroviaires, construits au XIXe siècle quand la France se recouvrait de voies ferrées, traversent le Massif Central, de Nîmes à Clermont-Ferrand pour le premier et de Béziers à Clermont-Ferrand pour le second. Plus précisément, il s’agit de deux lignes presque intégralement à voie unique : la ligne de Saint-Germain-des-Fossés à Nîmes-Courbessac et la ligne de Béziers à Neussargues.
Mais que vient faire Paris dans cette histoire ? Et bien, ces deux lignes s’inscrivent dans un itinéraire plus global sud / nord car pendant longtemps, elles ont représenté l’axe le plus court pour relier Béziers et Nîmes à la capitale française, de jour comme de nuit… Elles ont accueilli deux trains célèbres qui résonnent encore dans les souvenirs de certain.e.s : le Cévenol et l’Aubrac. D’autres se souviennent peut être des express réguliers qui les ont précédés, à l’appellation moins mémorable mais à l’importance néanmoins considérable, comme le 1114 qui circulait entre Nîmes et Paris via Clermont-Ferrand ou encore le train de nuit 5945 qui reliait Paris à Béziers, toujours via Clermont-Ferrand.
Jusqu’en 2007, le Cévenol circulait entre Marseille et Paris, via Nîmes et Clermont-Ferrand. L’Aubrac, quant à lui, assurait le parcours entre Béziers et Paris via Clermont-Ferrand. Les trajets étaient directs, sans correspondance, ce qui fait que ces deux trains assuraient une véritable desserte du Massif Central en mettant en relation directe avec Paris des villages comme Villefort, La Bastide-Puylaurent, Saint-Flour ou encore Aumont-Aubrac, ce qui peut paraitre impensable aujourd’hui !
Après 2007, la SNCF a commencé à fragmenter le parcours, déjà affecté par la concurrence du TGV. La liaison directe avec Paris n’est alors plus assurée, imposant une correspondance à Clermont-Ferrand. Puis on va amputer au Cévenol son tronçon Nîmes-Marseille. Les rames se raccourcissent, les services à bord disparaissent peu à peu… L’Aubrac subit de plein fouet la concurrence de l’autoroute A75, gratuite, qui suit grosso modo le même parcours. Les voies se dégradent, les vitesses chutent… En 2006, un train déraille sur la ligne des Causses à cause de la vétusté de la voie. Puis on remplace les voitures Corail par des autorails, moins confortables. Les deux lignes sombrent peu à peu, non pas à cause d’un destin que l’on pourrait qualifier d’inéluctable, mais simplement du fait de choix politiques conscients et établis.
La ligne des Cévennes et la ligne des Causses ont échappé de peu à la fermeture définitive. Grâce à la mobilisations des habitant.e.s ne souhaitant par voir disparaitre le train de leur territoire et la participation financière des régions traversées, les deux lignes ont été tour à tour “sauvées”. Des travaux ont été réalisés, d’autres sont encore nécessaires… Si la ligne des Cévennes semble aujourd’hui hors de danger, avec une mise en avant par la région Occitanie et du matériel roulant neuf, celle de l’Aubrac reste encore fragile par son besoin d’un véritable investissement au lieu de ce qui ressemble à du rafistolage ici et là. Sur une portion de 25 km, les rails datent de … 1932 ! Une pétition est d’ailleurs encore en cours à son sujet. Mais pour l’instant, les trains roulent, et c’est déjà une bonne nouvelle !
Destination Paris, via le Massif Central
Il ne s’agit pas ici de raconter toute l’histoire de ces deux lignes ferroviaires, on peut la trouver l’Internet mondial ainsi que dans quelques livres comme le superbe Sur les rails des Causses et Cévennes qui leur fait largement honneur. Si aujourd’hui plus aucun train direct ne circule, il reste possible de s’offrir l’itinéraire pour “monter” jusqu’à la capitale. Pour cela, il faut d’abord prendre un premier train soit au départ de Nîmes (Train Express Régional, abrégé TER), ou bien de Béziers, jusqu’à Clermont-Ferrand (Intercités sans réservation obligatoire). Le matériel roulant actuel n’a pas le même charme que les anciennes voitures Corail, mais présente l’avantage de pouvoir y mettre son vélo pour ceux qui voudraient s’arrêter sur le chemin. À Clermont-Ferrand, l’Intercités direct jusqu’à Paris prend le relais pour la dernière étape. Le tout prend une bonne journée ! Mais pourquoi s’infliger un trajet aussi long me diriez-vous ? Et bien, je trouve que le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce que pour la première partie qui justifie à elle seule un tel “détour temporel”.
Faut-il partir de Nîmes ou de Béziers ? Chaque ligne a son propre caractère et ses spécificités. Sur celle des Cévennes, on vient après Alès côtoyer le flanc est du Mont Lozère puis un peu plus haut nord rejoindre les magnifiques gorges de l’Allier, sans oublier la traversée de viaducs impressionnants comme celui de Chamborigaud ou de l’Altier près de Villefort. À l’automne, c’est superbe, car les forêts sont resplendissantes de couleurs. Sur la ligne des Causses, on monte à plus de mille mètres au nord de Millau pour rejoindre les vastes étendues désertiques du plateau de l’Aubrac où l’on peut saluer les vaches depuis la fenêtre du train. On vole littéralement au dessus des gorges de la Truyère quand le convoi passe sur l’impressionnant viaduc de Garabit, conçu par Gustave Eiffel. Une fois à Neussargues, il faut changer de train car la voie n’est plus électrifiée jusqu’à Clermont-Ferrand.
La lenteur du train laisse le temps d’admirer le panorama et les prouesses techniques qu’il a fallu réaliser pour qu’une voie ferrée puisse traverser ces contrées au relief capricieux. Le temps s’étire, se rallonge avec ces paysages grandioses, tantôt désertiques, tantôt vertigineux, parfois épiques. Le couinement et le grincement du train qui affronte le profil difficile de la voie ferrée et ses nombreux virages peut surprendre quand on est habitué au confort sonore quelque peu aseptisé du TGV et aux courbes peu prononcées des lignes à grande vitesse. L’arrêt dans des petites gares, souvent très calmes voire désertes, offre un contraste saisissant avec le bruit et la fureur des grandes villes. Plus qu’un trajet, c’est un véritable voyage aux allures de périple.
En gare de Clermont-Ferrand, c’est la correspondance avec l’Intercités direction Paris. Le trajet est alors plus plat, plus rectiligne, plus “classique”. J’aime le voir comme un moment de digestion de la première partie du voyage, une sorte de sas avant de débarquer dans l’agitation parisienne. Le train passe par Vichy, Nevers, Moulins… Le tout dure environ 3h30, quand il n’y a pas de retard, ce qui semble-t-il être très souvent le cas d’après mon voisin de siège, rencontré à bord du train en mai 2022 (et nous avons eu du retard !). Celui-ci m’a fait part du lent déclin de la ligne, qui nous fait d’ailleurs arriver en gare de Bercy, sorte d’annexe délocalisée de la Gare de Lyon, comme pour faire comprendre aux voyageur·euse·s que leur itinéraire ne fait décidément pas partie des priorités de la SNCF.
Comment s’y prendre ?
Au départ de Montpellier, il vous faudra choisir si vous êtes plutôt Causses ou Cévennes et prendre en compte le trajet supplémentaire qui vous amènera à la ville de départ souhaitée.
Si vous voulez rouler sur les traces de l’Aubrac, il n’y a qu’une seul train direct dans la journée : l’Intercités N°15940 au départ de Béziers et à destination de Clermont-Ferrand. Ne vous fiez pas à cette appellation trompeuse : le matériel roulant est celui d’un TER, il n’y a donc ni réservation de place assise, ni service de restauration à bord. Départ à 9h33 de Béziers, arrivée à 16h01 à Clermont-Ferrand, soit 6h28 de voyage ! Je vous l’avais dit : inutile d’être pressé. À Clermont-Ferrand, on peut enchainer sur l’Intercités (un vrai celui-ci) de 16h31, ou bien de 17h31 si on souhaite prévoir large et aller se dégourdir les jambes. Arrivée à Paris Bercy à 19h57 ou bien à 20h57.
Si vous souhaitez faire hommage au Cévenol, il vous faudra prendre le premier TER qui part à 8h15 de Nîmes Centre et arrive à 13h17 à Clermont-Ferrand, soit 5h02 de voyage. Ici aussi, pensez à prendre votre pique-nique car il n’y a aucun service à bord. À Clermont-Ferrand, il est possible de poursuivre le voyage avec l’Intercités de 13h31 qui arrive à 16h57 à Paris Bercy ou bien de faire une grosse pause pour attendre le 16h31.
En terme de recherche sur le site de la SNCF, il vous faudra bien spécifier Clermont-Ferrand dans “Trajet via” pour faire apparaitre l’itinéraire voulu. Si celui-ci n’apparait pas, cherchez alors par tronçons (Béziers/Nîmes – Clermont puis Clermont-Paris). Si le Béziers-Clermont ou le Nîmes-Clermont n’apparait pas comme un train direct, il y a peut être des travaux (cela arrive régulièrement) qui interrompent tout ou partie de la ligne (avec remplacement par autocar). Faites attention aux propositions de trajets qui vous font passer par Lyon… et prendre le TGV (la SNCF en raffole !). Et si vous souhaitez passer par Béziers, il faudra rechercher le trajet Béziers-Montpellier à part, sinon l’algorithme vous force à passer par Nîmes car c’est plus court !
Combien ça coûte ?
Parlons du nerf de la guerre : l’argent. Je vous préviens : ce n’est pas forcément moins cher. En effet, un Ouigo Montpellier-Paris peut revenir à moins de 30 euros, tarif imbattable qui ne saurait être égalé si l’on passe par Clermont-Ferrand. Oublions un instant les incohérences tarifaires d’une SNCF en proie à une privatisation rampante et concentrons-nous plutôt sur l’intention d’un tel voyage, que je vois plus comme un cadeau que l’on s’offre au lieu d’un trajet à rentabiliser à tout prix. Cela dit, en fonction du jour, de la période de l’année, si vous êtes plutôt Ouigo ou TGV inOui, si votre achat se fait à la dernière minute, cela peut revenir moins cher de passer par le Massif Central que d’opter pour la grande vitesse, qui peut dépasser les 100 euros sur Montpellier-Paris…
Sur l’axe Béziers-Clermont, il s’agit d’un Intercités qui fait partie des liaisons labellisées “trains d’équilibre du territoire” pour lesquelles l’État, dans sa grande mansuétude, subventionne le prix des billets à hauteur de 25 euros en moyenne : le montant reste donc relativement abordable (en général autour des 20 euros). Sur l’axe Nîmes-Clermont, c’est un TER et les prix ne bougent pas, même à la dernière minute. Pour autant, il faut compter 45 euros ! Il y a parfois des promotions (19 euros), mais faut-il encore qu’elles tombent sur l’horaire qui vous arrange… Ce trajet est cependant éligible à la carte TER Libertio’ qui permet de s’offrir le billet à la moitié de son prix initial.
Pour la partie Clermont-Paris, les prix des trains de l’après midi peuvent aller d’une vingtaine à plus de 60 euros, en fonction de tout un tas de critères issus des arcanes tarifaires de la SNCF… Si vous voulez vous offrir une plus longue pause à Clermont-Ferrand, le dernier train de la journée est en général le moins cher, jusqu’à la moitié du prix de celui d’avant !
Éloge de la lenteur
Si j’ai choisi un trajet aussi classique et fréquenté que Montpellier-Paris pour parler de ces deux itinéraires via le Massif Central, c’est par choix volontaire de montrer l’impact du tout TGV sur la politique ferroviaire de la France. La SNCF a donné la primauté à la grande vitesse, que ce soit sur leur site de vente programmé pour, sur le terrain avec des lignes “secondaires” trop longtemps négligées ou encore dans nos propres imaginaires car beaucoup de personnes ignorent l’existence de ces itinéraires, pourtant historiques, et qui méritent de regagner quelques lettres de noblesse.
Le choix de parler de cet itinéraire est aussi un éloge à la lenteur : prendre le temps de traverser la France, d’apprécier les changement du paysage, les contrastes entre les régions… Pour l’avoir testé en empruntant la ligne des Causses, arriver le soir à Paris après être parti au petit matin de Montpellier tout en traversant une myriade de paysages fantastiques m’a réellement donné la sensation de faire un grand voyage vers la capitale, là où la grande vitesse me laisse plus l’impression, certes pratique mais quelque peu superficielle, de sauter d’une ville à l’autre… Et pour celles et ceux qui ne souhaitent pas aller jusqu’à la capitale (je les comprends), c’est aussi un moyen de se rendre dans le Massif Central bien plus écologique que la voiture !
PS : par pur chauvinisme, j’ai choisi d’aborder cet itinéraire au départ du sud. N’ayant jamais eu l’occasion de le réaliser dans l’autre sens, je n’en ai pas étudié la faisabilité en terme de correspondances. Cela viendra peut-être un jour, mais si vous avez déjà la réponse, n’hésitez pas à m’en faire part.