En 2019, année charnière de ma prise de conscience des enjeux climatiques, j’ai pris la décision d’arrêter l’avion. Cela m’a amené à reconsidérer la notion de voyage, chamboulant au passage mon rapport à l’espace et au temps. Progressivement, j’ai commencé à être de plus en plus attiré par des modes de déplacement plus lents, peu ou pas carbonés, et à y voir de nombreux avantages. Cette année là, je me suis ainsi séparé de ma voiture et je me suis mis au vélo pour mes trajets du quotidien. Mais le mode de déplacement que j’ai choisi pour mes premières expériences de voyage lent et décarboné a été la marche.
De Montpellier aux Cévennes, à pied
Me voilà en juin 2020. Tente et cartes sur le dos, je claque la porte de mon appartement à Montpellier et je pars à pied vers le nord, en ayant comme seule certitude ma direction (Les Cévennes) et le nombre de jours dont je dispose au total. Pour le reste, j’adopte la formule “on verra“.
Je redécouvre les proches environs de chez moi à la douce vitesse de la marche. Quand au bout de deux jours, j’atteins une ville qui se rejoint en à peine une heure de voiture et je réalise pleinement comment les énergies fossiles ont bouleversé nos manières de nous déplacer. Au bout de quatre jours, j’ai l’impression d’être parti depuis des semaines. Au retour, j’ai l’impression de rentrer d’un long périple alors que je ne suis parti que six jours au total !
Une traversée automnale du Mont Lozère
En octobre 2020, il est temps de remettre ça. Je monte dans le train à Montpellier en direction du village de Génolhac. Carte IGN en main, arsenal de randonnée sur le dos et appareil photo sur le cou, j’ai décidé de traverser le Mont Lozère entièrement à pied, sans itinéraire pré-établi avec comme seule certitude ma destination, la ville de Florac.
Je suis à moins de cent kilomètres à vol d’oiseau de chez moi. Pourtant, la lenteur imposée par la marche, la solitude, la soumission aux aléas climatiques, la sortie des sentiers battus et l’ambiance mystérieuse de l’automne furent pour moi un véritable voyage, aussi bien dépaysant que spirituel.
Certaines des photos prises pendant ce voyage ont ensuite fait l’objet d’une exposition intitulée “Itinérance Lozérienne” présentée au château de Castries (Hérault), à l’occasion du festival de voyage “What a trip !” en septembre 2021, et dont vous pouvez retrouver les images ici. Outre l’envie de valoriser le département de la Lozère, le but de cette exposition était de montrer un autre type de voyage, un autre imaginaire, et de montrer que l’émerveillement pouvait se retrouver près de chez soi.
Changement de paradigme
Si ma vision du voyage traditionnel avait déjà été chamboulée d’un point de vue plus intellectuel (notamment par la compréhension de son impact écologique), le fait de vivre ces deux expériences a rendu vraiment réel ce changement de paradigme. En effet, dans les standards encore en vigueur, partir quelques jours près de chez soi n’a rien d’un voyage. Et pourtant, je l’ai ressenti comme tel. J’ai observé que le mode de déplacement change complètement la donne : en quittant Montpellier à pied, j’ai refait un itinéraire que j’avais emprunté des tas de fois en voiture et que j’aurais pu prétendre connaitre par cœur… sauf que c’est en le faisant à pied que j’ai réalisé que je ne le connaissais que trop peu, et c’est à ce moment là qu’il m’a laissé des souvenirs inoubliables.
Plus on avance lentement, plus les sens sont mis à contribution. On a le temps d’observer le paysage et si l’on est à l’extérieur, on peut sentir la pluie, le vent, les variations de température, les odeurs… Et si ce sont nos jambes qui fournissent l’énergie pour se déplacer, chaque variation du terrain et chaque aléa du relief s’impriment dans notre corps. Ainsi, on a la sensation d’avoir vraiment vécu le trajet. Ce qui est moins le cas quand on est à l’intérieur d’un train, d’un bus, d’une voiture et je ne parle pas de l’avion..
Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus de mal à apprécier un mode de déplacement très rapide pour me rendre d’un point A à un point B quand je suis en vacances. Sauter dans un avion pour atterrir, quelques heures plus tard et quelques milliers de kilomètres plus loin dans un environnement totalement différent, sans avoir réellement pris conscience de la distance parcourue et des frontières franchies me parait aberrant. Même traverser la France en TGV (pourtant un moyen de transport peu carboné) en moins de quatre heures ne me séduit plus : je préfère la “lenteur” d’un bon vieux Intercités ou d’un TER. Au delà de l’impact écologique, c’est donc ma manière d’appréhender le voyage qui a complètement changé.
Interroger la notion de voyage
Bien entendu, mon but n’est pas de faire la promotion exclusive du “voyage au pas de sa porte” et de condamner toute destination lointaine. Il y a des choses irremplaçables que l’on trouve au loin, comme le fait de changer de langue et de culture. Mais ces destinations lointaines peuvent être interrogées à l’aune de leur impact écologique : pourquoi avons-nous besoin de partir le plus loin possible ? Et si c’est le cas, pourquoi doit-on s’y rendre le plus rapidement possible ? Ne pouvons-nous pas aussi nous dépayser dans notre région, dans la région voisine, dans le pays voisin, plutôt que systématiquement à l’autre bout de la planète ? Que recherchons-nous vraiment quand nous voulons voyager : cocher une liste pré-machée de lieux pour mieux briller en société ou vivre une expérience forte, dans le corps, le cœur et la tête ?
Je dois reconnaitre que mes expériences de voyage à pied, pourtant proches géographiquement de mon domicile, ont laissé en moi bien plus de souvenirs et de sensations que certaines escapades touristiques beaucoup plus lointaines, quand je faisais un aller-retour en avion pour quelques jours en remplissant une check-list d’incontournables à visiter…
Vous pouvez retrouver mon interview au sujet du voyage lent sur le site de l’Atelier Bucolique.